mardi 19 novembre 2013

Petites leçons de décryptage du langage libraire

Le problème, lorsqu'on bosse dans le commerce, c'est qu'on est vite sujet à des tics de langage, qui frisent le grand n'importe quoi en fin de journée...
Un exemple : "Bonjour, je peux vous renseigner, non, la caisse est en face, derrière le pilier à gauche".
A la fin, ça donne : "non, je ne suis pas une caisse. Pour payer, c'est dans le pilier à gauche..." (Je sais, j'ai honte, c'est très très mauvais !)

Ou encore : "Bonjour, vous venez chercher votre commande ? (Toujours à la même personne :) Ah, vous voulez commander un autre livre ? Très bien, mais vous avez déjà commandé dans notre librairie ?"
Et oui, quels souvenirs de franche rigolade ! Et quels fous rire encore en perspective ! Trépidante la vie du libraire ?!  ouh la ! C'est peu de le dire !

Il faut d'ailleurs savoir décoder le langage du libraire ET du client :

Lorsqu'un client demande : "Le dernier Marc Lévy est bien ? Non, parce que moi, j'adore tout ce qu'il écrit !"
La réponse du libraire est : "En effet, c'est léger et drôle... Parfait pour les vacances."
Ce qui veut dire : ça détend le cerveau, pas besoin d'utiliser un seul neurone pour le lire, et vu que vous aimez, je ne veux pas vous en priver !

Bon, il m'arrive aussi de dire la vérité.(Surtout quand le livre est effectivement bon). Mais certains le prennent hyper mal (quand c'est pour dire qu'il est médiocre)!
Comme s'il existait une règle tacite qui empêchait de dire ce qu'on pense réellement, lorsqu'une personne désigne un roman qu'elle a manifestement envie de lire...
En fait, elle cherche juste la bénédiction du libraire. Et elle attend seulement qu'on lui dise : "Allez, je sais que tu l'aimes ce roman, mais oui, je sais que tu l'aimes...Va z'y, mais prends le ! TIENS !"

Attention, parce qu'il y a aussi ceux qui veulent VRAIMENT ton avis ! (Ca, c'est la meilleure partie du job !)... Mais difficile de les distinguer des premiers. D'où la nécessaire sagacité, et l'extrême intelligence, et le sens de la psychologie, dont doit faire preuve votre serviteur.
Et à part leur dire : Vous voulez vraiment que je vous dise la vérité vraie de ce que je pense au plus profond de moi de cette merde ? (oups!)... Non, vraiment, je vois pas.

D'ailleurs, (petit aparté) il y a aussi le client qui TE conseille :
"Vous devriez lire ce livre, il est excellent !"
Et rien n'agace plus le libraire que le client qui veut lui faire lire tel livre à tout prix.
Eh ! Oh ! C'est moi le libraire, c'est moi qui te conseille, t'as compris ? On fait pas les choses à l'envers ! Ici, c'est mon territoire ! Toi comprendre ?
Surtout s'il s'agit d'un livre en matière de développement personnel, comme les anges gardiens par exemple ! (Déjà, j'aime pas les anges, et si en plus ils nous surveillent, genre pour nous protéger... Moi ça me fait carrément flipper !)
Certaines personnes tiennent aussi absolument à vous faire adhérer à leurs passions, comme par exemple leur amour sans fin pour les chats, en nous montrant leurs livres illustrés sur les chats, des poèmes de chat, des histoires de chat. Regardez comme ils sont mignons ces matous !
Ahhhhhhhhhhhh ! Pitié ! Pas les petits chats !!! (Et pourtant, j'adore les chats)

Ensuite, il y a bien sûr la question rituelle : "Et ce roman, vous l'avez lu ?"
Si le libraire répond : "Ah, l'éditeur est excellent, il a reçu de très bonnes critiques dans les Inrocks, Télérama, Libé, 30 millions d'amis, Chasse et Pêche..."
Attention, c'est une ruse de libraire pour dire qu'il ne l'a pas lu !
Bon, si au bout de quatre ou cinq fois, le libraire n'en a lu aucun, il ne peut décemment pas s'écrier : Non, mais ils ont tous eu une excellente critique, et tous leurs éditeurs sont talentueux... Et foutez moi la paix, on n'importune pas les libraires comme ça !
Non, il ne peut pas...
Alors, de guerre lasse, le libraire peut choisir la voie maléfique du mensonge. (ou aussi songer à changer de métier !), et dire qu'il a lu ce livre, tout en priant pour qu'on ne lui demande aucune précision sur le sujet, les personnages ou encore l'intrigue ! (Car il est désormais trop tard pour dire : "Aaaaah, vous vouliez dire ce roman là ? ! Non, en fait je l'ai pas lu")
Et si le client insiste pourtant, tenant à savoir de quoi parle le livre (Mais quel culot !), le mieux est encore de simuler un malaise, ou un incendie, ou de dire que des martiens de la planète Zorg viennent d'attaquer la Terre...
Bref une petite diversion habile et bien crédible... avant de fuuuiiiir... S'installer sur une île déserte, vivre de chasse et de pêche, faire des colliers de coquillages, et des cache-pots en macramé, tout en apprenant le dialecte des indigènes autochtones... Et en emportant seulement un livre... Oui, mais lequel ?... (Oui, j'ai conscience que tout cela est un peu disproportionné, pour un petit mensonge, mais on a un peu d'éthique, ou on n'en a pas beaucoup...)

Enfin, il y a aussi le client qui, ne trouvant pas le livre qu'il désire, se tourne vers le libraire avec un rictus de mépris. On sent qu'il prépare sa phrase comme un crachat qu'il balancerait à la figure du libraire, pour éructer un : "Tant pis, je commanderai sur Amazon, en plus c'est beaucoup plus rapide, et bien moins cher !"
Comment peut-on émettre autant de contre-vérités dans une seule phrase ?! Oui, comment ?! Je vous le demande !
Alors, en guise de réponse, le libraire ne peut que lui servir un "Très bien ! merci, au revoir !" bien senti. (Et paf, dans ta face !)
Bon, en fait, si on veut décoder, ça veut dire : Très bien, et ben casse toi pov'con !
Oui, car le libraire peut aussi être très méchant !

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