mercredi 14 septembre 2016

Quelques conseils de rentrée #4 Vera Kaplan



Vera Kaplan, de Sagalovitch, Buchet Chastel, collection Qui Vive


Je n'ai jamais supporté les spéculations de ceux qui se demandent avec une angoisse surjouée quelle aurait été leur attitude s'ils avaient dû traverser cette période de l'Histoire (la Seconde Guerre Mondiale). Plus d'une fois, j'ai quitté avec fracas des réunions, quand des convives, à la recherche de conversations ludiques et de frissons rétrospectifs, se renvoyaient la balle de leurs destins imaginaires.

Toute la problématique de ce roman se niche finalement dans ces quelques lignes. Il est hypocrite, voire impossible de tenter de répondre à cette question.
Ne faut-il donc pas se garder de juger ceux qui n'ont pas agi selon la morale, et tenté de sauver leur vie ?

 Ainsi s'indigne le narrateur du livre. Ce dernier a perdu sa mère un an plus tôt. Il revient régulièrement en pèlerinage dans son appartement de Tel Aviv dont il n'arrive pas à se défaire, lorsqu'une énigmatique missive arrive, adressée à sa défunte mère. A l'intérieur, le pli d'un notaire allemand l'informe du décès de sa grand-mère, joignant à la lettre le journal de cette dernière.
Un coup de théâtre pour ce jeune homme qui savait sa mère adoptée et ne connaissait rien de son passé ni de ses origines.
Commencent les récits enchâssés du journal et des lettres de cette grand-mère, qui se nomme Vera Kaplan, et qu'elle adresse à sa fille.
Vera Kaplan est une très jeune fille juive vivant à Berlin avec ses parents quand la deuxième guerre mondiale éclate. Commencent aussi les persécutions des juifs. Très vite, la famille est recluse dans un hôpital qui lui tient lieu de prison et Vera doit faire face à un terrible dilemme. Pour sauver ses parents, on lui demande de dénoncer des juifs pour le compte du gouvernement nazi.

Elle raconte son refus, puis son dégoût de faire cela quand elle ne peut plus y échapper. Viennent ensuite la résignation et surtout la colère qu'elle nourrit envers ceux qui, selon elle, acceptent trop facilement leur sort, comme s'ils étaient déjà morts.
Le lecteur sent dans son discours son besoin de justifier les exactions qu'elle a acceptées d'accomplir, même si elle s'en défend, revendiquant même les assumer. Pire, elle continuera de dénoncer des juifs alors même que ses parents auront été finalement déportés.

Pendant ce temps, Vera entretient des rapports passionnés avec un jeune homme juif qui dénonce lui aussi ses coreligionnaires, sans état d'âme. Fruit de leur liaison, une petite fille naît à la fin de la guerre.
Vera est alors arrêtée par les Russes. A l'issue du procès, elle est incarcérée pendant dix ans, et sa fille lui est enlevée.
Après des années de recherches et de silence, elle retrouve l'enfant qui a été adoptée en Israël, et lui écrit régulièrement, sans vraiment vouloir la rencontrer, ni chercher auprès d'elle une forme d'absolution. Sa fille ne lira jamais ses courriers, et Vera finira par se suicider à l'âge de soixante-douze ans. 

Vera Kaplan a vraiment existé, sous le patronyme de Stella Goldshlag. Ce roman montre son pacte avec le diable, ce qui en fait un roman au débat passionnant.
La construction même de ce court texte est une belle réussite, avec son triple niveau de récits. Il montre l'habileté de son auteur, que l'on connaissait dans des registres plus légers et déjantés.


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