vendredi 29 janvier 2016

Le peuple d'en bas



Le peuple d'en bas, de Jack London, éditions Phébus

En 1902, cette tête brûlée de Jack London décide de se travestir en pauvre hère afin de faire un vrai travail d'investigation dans les quartiers est de Londres, capitale de l'empire le plus puissant de la planète à l'époque.
L'East End fait alors partie des quartiers les plus pauvres, réputé dangereux, un véritable ghetto.

Résultat, une immersion dans la misère la plus extrême, reportage qui pourrait correspondre à infiltrer un bidonville au coeur de l'Inde contemporaine.
(Je n'ai pu m'empêcher de penser à l'excellente et terrible nouvelle de Brian Aldiss, appelée La tour des damnés, qui met en scène une expérience scientifique jouant sur les codes de la surpopulation, dans une tour fermée en Inde)

London veut y montrer les oubliés de la révolution industrielle. La catégorie sociale des plus pauvres.
Car en 1902, dans les quartiers est de Londres, celui qui est pauvre écope de la double peine :
Il doit partager à plusieurs une seule chambre pour dormir, vivre dans les miasmes, la vermine, avec la faim qui tord le ventre.
Et s'il n'a pas un bout de lit à se partager, et que l'hospice* est déjà complet, alors il dort dehors. Et là, il sait qu'il est tombé en enfer, que le froid empêchera tout endormissement, comme la pluie qui lui glacera les os, ou encore les flics, qui lui interdiront d'investir les bancs publics la nuit.
Ainsi se forme la cohorte des miséreux sans toit, un peuple de marcheurs, trop fatigués le lendemain pour chercher un travail, constamment tenaillés par la faim, qui voient leur fin proche.

London s'est plongé dans ce milieu, et on se dit au fil des pages qu'il a eu bien du courage pour s'immerger dans cette horreur. Car ce qu'il en rapporte, il ne s'est pas contenté d'en transcrire des entretiens, il l'a vécu au plus près, ce qui en fait un témoignage de premier ordre.
L'écrivain en revient avec des anecdotes toutes plus sordides car être pauvre c'est encore ce malheureux employé ne pouvant se payer un endroit où dormir, qui va à l'asile* dans lequel on lui demande de casser des cailloux contre pitance. Ses mains peu habituées à un travail manuel le font atrocement souffrir, et le lendemain il ne peut effectuer son travail de comptable. Son employeur le traîne alors en justice, il est déclaré coupable et condamné à une semaine de travaux forcés.

La réflexion tirée de ce livre se résume à : Comment s'en sortir quand même le système vous enfonce, veut votre perte, quand le seul regard tourné vers ses populations déshéritées, au bord de la mort est un regard de mépris infini doublé d'une suspicion systématique de malhonnêteté.
En conclusion, si vous avez pu visiter l'exposition temporaire du Quai Branly ayant pour thème tatoueurs et tatoués, vous retrouverez écrit sur le corps de ces pauvres bagnards le même leitmotiv que porte inscrite dans sa chair la population de l'East End de Londres à la même époque, et qui peut se résumer à chienne de vie.



Souffre... mais tais-toi
Fatalité - Pas de chance - Sans patrie













Photos extraites du livre Mauvais garçons, portraits de tatoués 1890-1930, édition Manufacture de livres


*Jack London emploie les termes asile et hospice pour ce qui représente aujourd'hui un hébergement d'urgence, des foyers dans lesquels on pouvait dormir la nuit contre travail.

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